Artiste conceptuel, abstrait lyrique - Gerhard Richter rayonne partout

GRENOBLE ENVOYÉ SPÉCIAL

Le Musée de Grenoble consacre une exposition à l'artiste allemand Gerhard Richter. Une de plus? Certes, à 75 ans, il est considéré comme un des grands peintres de la seconde moitié du XXe siècle, mais on le voit bien souvent : sa dernière rétrospective a eu lieu en janvier 2008, au musée Frieder Burda de Baden-Baden, en Allemagne. Alors, une telle exposition était-elle nécessaire ? Oui, car elle est aussi un hommage à la sagacité de nos conservateurs de musée et de nos directeurs de FRAC, trop vite vilipendés pour leurs achats impulsifs. Les quarante oeuvres réunies ici, soit l'ensemble des Richter des collections publiques françaises, témoignent au contraire de la justesse des choix effectués depuis trente ans.

Saluons d'abord l'intuition de Daniel Abadie qui, lorsqu'il était conservateur au Centre Pompidou, a organisé la première exposition de Richter dans un musée français, en 1977. D'après Guy Tosatto, le directeur du Musée de Grenoble, il s'agissait toutefois d'un malentendu : "Abadie voyait en Richter un hyperréaliste." Rien d'étonnant de la part d'un peintre qui, formé dans les académies rigoureuses d'Allemagne de l'Est, fait ce qu'il veut de son pinceau. Tour à tour, voire simultanément, abstrait et figuratif, sa peinture déroute. "Mais cela me semble normal, confiait-il au Monde le 28 janvier 2008. Un homme ne se comporte pas toujours de la même façon, ne s'habille pas toujours de la même façon, tout en restant le même. C'est ce que je fais. Depuis Picasso et Picabia, c'est désormais un phénomène normal que d'employer des méthodes différentes..." Ce qui, si on ose dire, le rend apte à satisfaire tout le monde.

UNE HISTOIRE DU GOÛT

"Quand ils se sont intéressés à Richter, Xavier Douroux (le directeur du Consortium de Dijon) voyait en lui un artiste conceptuel et Bernard Ceysson (l'ancien responsable du Musée d'art moderne de Saint-Etienne) un abstrait lyrique", explique Guy Tosatto. Chacun trouve ainsi midi à sa porte. Une ambiguïté qui permet à cette exposition de retracer, en filigrane, une histoire du goût institutionnel français. On en a la démonstration dès les premières salles de l'exposition. Un grand monochrome gris, pour les adeptes du minimalisme, jouxte un portrait de l'oncle Rudi, souriant dans son uniforme de la Wehrmacht. Une oeuvre complexe puisque, par-delà son sujet autobiographique, elle est la photo d'un tableau lui-même peint d'après photo. L'art qui se mord la queue. En vis-à-vis dans la même salle, Ubersicht (1998), sorte d'organigramme égrenant les grandes phases de l'histoire de l'art, des grottes de Lascaux à un certain Gerhard Richter, ravira les amateurs de conceptuel.

UNE SURPRENANTE UNITÉ

Au fil de l'exposition, l'oeil saute ainsi d'un genre à l'autre, avec pourtant la sensation d'une surprenante unité. Abstraits ou figuratifs, ce sont toujours des Richter. Lui-même, lorsqu'il quitte l'Allemagne de l'Est au début des années 1960, est tiraillé entre plusieurs influences. Nourri à la mamelle du réalisme socialiste, il passe à l'Ouest, persuadé que la modernité réside dans l'abstraction, l'art informel, et atterrit en plein pop art.

On serait dérouté à moins. Sans privilégier une école, il les embrasse toutes, et en fait du Richter. C'est ainsi que lorsqu'il offre à Beaubourg en 1984 la grande toile 1024 Farben (1973), les conservateurs du Centre Pompidou pensent tenir une oeuvre conceptuelle. "Elle n'est plus perçue du tout comme cela aujourd'hui", sourit Guy Tosatto.

Et le sourire du directeur du Musée de Grenoble de s'agrandir quand il parle, chose rare dans sa profession, de gros sous. Car Richter a été très généreux avec notre pays. Ainsi, parvenu au faîte de la gloire, il négocie lui-même avec son marchand pour que le Carré d'art de Nîmes puisse acquérir, en 1996, Blumen pour la somme de 300 000 francs alors que la galerie en réclamait 1,5 million.

D'autre part, les institutions ont su acheter très tôt. A petit prix. Ainsi, dit Tosatto Kerze, une bougie peinte en 1982, fut acquise environ 40 000 francs (plus près de 100 000 francs, d'après un ancien responsable des lieux) par le FRAC Rhône-Alpes en 1984, à la galerie Durand-Dessert, son premier marchand parisien.

40 ou 100 000 francs, cela n'a guère d'importance : en 2001, une toile équivalente a été vendue aux enchères à New York pour 5,3 millions de dollars (4,59 millions d'euros) et, une autre en février 2008 à Londres pour l'équivalent de 9,4 millions d'euros ! Chiffres dont devraient se souvenir ceux qui, vouant les "institutionnels" aux gémonies, bouffent du directeur de FRAC à chaque repas.

"Richter en France". Musée de Grenoble, 5, place de Lavalette. Tél. : 04-76-63-44-44. Du mercredi au lundi, de 10 heures à 18 h 30. Jusqu'au 1er juin.
Catalogue, éditions
Actes Sud, 140 p. 29 €.

Harry Bellet

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