Le geste et la spontanéité du peintre

RIEHEN (SUISSE) ENVOYÉ SPÉCIAL
A chaque exposition, on en reste pantois : la fondation Beyeler, près de Bâle, en Suisse, a le secret des emprunts exceptionnels de tableaux. Ainsi, pour célébrer l'Action Painting, ce mouvement apparu après la seconde guerre mondiale en Europe et aux Etats-Unis, son conservateur, Ulf Küster, a réuni 110 toiles, dont pas moins de 13 de Jackson Pollock (1912-1956), héros de l'art américain. Parmi lesquels Number 5, de 1948, dont la rumeur en fait le tableau le plus cher du monde : il aurait été échangé pour 140 millions de dollors lors d'une transaction privée en 2007. A imaginer les primes d'assurances afférentes, on comprend que, lorsque la fondation Beyeler veut organiser une exposition, elle sait s'en donner les moyens.

Sont donc regroupés dans cette exposition fastueuse 27 artistes qui, après 1945, ont, par leur pratique affranchie des règles traditionnelles de la composition, bouleversé l'histoire de l'art.

Hélas, il en manque au moins un : Georges Mathieu est absent de l'exposition, et, quoi qu'on pense de son travail, surtout dans les musées français qui ne le soutiennent guère quand ils ne le torpillent pas à plaisir, c'est une faute historique. Ne serait-ce que parce que c'est lui qui, avec le galeriste Paul Facchetti, fut l'introducteur de Pollock en Europe. Il fut aussi l'un des principaux théoriciens de l'Abstraction lyrique, comme on nommait en France cette peinture fondée sur le geste et la spontanéité. On s'en convaincra, par exemple, en visionnant Georges Mathieu où la fureur d'être, le film épatant que Frédéric Rossif lui consacra en 1971 (DVD aux éditions Zoroastre). Mais l'absence est d'autant plus incompréhensible que l'exposition montre a contrario des artistes qui, comme Arman, Eva Hesse, ou Cy Twombly, n'ont qu'un très lointain rapport avec le sujet.

La vision que donne la fondation Beyeler de l'Action Painting est donc partiale, ou originale, selon les goûts. Tirée par les cheveux, dans certains cas, elle n'en reste pas moins spectaculaire. Elle débute avec certains des habituels pères fondateurs de ce que le critique Michel Tapié nommait "un art autre" : Wols, Fautrier, Hartung pour le volet parisien, Gorky, Hofmann, Matta pour les prémices de l'aventure américaine, qui intègre aussi Lee Krasner, madame Pollock pour l'état civil.

Vient ensuite le morceau de bravoure, avec l'ensemble de drippings, la peinture coulée sur la toile posée à l'horizontale caractéristique du travail de Pollock, dont la gestuelle particulière fut immortalisée par le photographe Hans Namuth (ses deux films tournés sur Pollock en 1950 sont projetés à la fondation), et quelques oeuvres biens choisies d'autres membres de cette "école de New York" qui imposa l'Amérique parmi les ténors de l'art moderne : Franz Kline, Clyfford Still, Morris Louis, De Kooning, Motherwell, Sam Francis, Joan Mitchell ou Helen Frankenthaler.

Mais l'accrochage montre aussi leurs homologues européens, comme le trop peu vu peintre allemand Ernst Wilhelm Nay, deux des fondateurs du mouvement Cobra, Karel Appel et Asger Jorn, ou le très attachant Shiraga, le japonais du groupe Gutaï qui peint avec les pieds.

Enfin, cerise sur le gâteau, le parcours comporte un fil rouge nommé Pierre Soulages. Le peintre français est en effet représenté d'un bout à l'autre de l'exposition avec des toiles significatives, jalons d'une carrière entamée en 1946. Présent le jour du vernissage, il a reçu un vibrant hommage du nouveau directeur de la fondation, Samuel Keller, l'ancien patron de la foire de Bâle qui n'oublie jamais que si une exposition est réussie, les artistes y sont peut-être, aussi, pour quelque chose.

"Action Painting". Fondation Beyeler, Baselstrasse 101, CH-4125, Riehen (Suisse). Tél. : (00)-41-61-645-970. De 10 heures à 18 heures ; mercredi, jusqu'à 20 heures. Jusqu'au 12 mai. Catalogue éd. Hatje Cantz, 204 p. , 68 CHF. www.beyeler.com.

Harry Bellet

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