Arte: Max Ernst sublime l'art du collage

En 1933, Max Ernst part en Italie. En trois semaines, dans un château près de Piacenza, il compose 182 collages, puisant dans des ouvrages illustrés français de la fin du XIXe siècle. Leurs planches en noir et blanc sont pour lui comme d'inépuisables mines. De retour à Paris, il en prépare la publication en cinq volumes, chacun de couleur différente. Ils paraissent d'avril à septembre 1934 aux éditions de la galerie Jeanne Bucher.
Le titre de ce roman graphique est Une semaine de bonté ou les sept éléments capitaux. Il est divisé en journées de la semaine, chacune caractérisée par une passion différente et par un élément - l'eau, l'air. L'onirisme le plus bizarre s'y donne libre cours, traversé par des symboles.

Qu'Une semaine de bonté soit l'une des créations majeures du surréalisme, on le sait depuis longtemps. Mais, faute d'avoir vu les collages originaux, on ne pouvait mesurer à quel degré de maîtrise Ernst y élève l'art du montage. Ils avaient été exposés, en 1936, à Madrid, à l'initiative de Paul Eluard. Ils le sont enfin à nouveau, à l'Albertina Museum de Vienne, prêtés par l'Isidore Ducasse Foundation de New York, qui abrite la collection de Daniel Filipacchi. Exhaustive, présentant même quelques collages qu'Ernst n'a pas retenus pour la publication, l'exposition est un modèle du genre. Elle s'ouvre sur une séquence explicative qui laisse rêveur. Des collages y sont présentés en compagnie des planches dans lesquelles Ernst a découpé une femme nue, un naufragé, un bord de rivière ou un intérieur bourgeois. La subtilité avec laquelle il agence les images, les fait glisser les unes dans les autres et les suture est telle que l'oeil perçoit une unité parfaite là où règne l'hétérogénéité. L'hybridation, le renversement sens dessus dessous, les ruptures imperceptibles d'échelle font surgir des scènes où l'irréel semble naturel. Ernst rend le fantastique non seulement crédible, mais normal.

Ce monde en noir et blanc vit dans la peur et la rage. Les catastrophes y sont fréquentes, les crimes aussi. Les meurtriers ont des têtes de fauves ou d'oiseaux. Les héroïnes sont alternativement menaçantes et accablées - et dénudées le plus souvent. Cette chronique des fantasmes et des angoisses fascine si bien que, sortant des salles, on est tout surpris que les hommes n'aient pas des mufles de lion et que les Viennoises ne se promènent pas nues.

"Max Ernst", Albertina, Albertina Platz 1, Vienne. Tél. : 00-43- (0) 1-534830. De 10 heures à 18 heures ; mercredi jusqu'à 21 heures. Jusqu'au 27 avril.

Philippe Dagen

Comentarios

Entradas populares