La poésie sur les murs
C'est la meilleure manière de démontrer qu'ils ne se laissent pas prendre dans une catégorie, qui devient spécialité et profession, et que la création peut prendre, chez un seul homme, bien des formes simultanément ou successivement. Picabia, quand il ne peignait pas, écrivait. Breton, quand il n'écrivait pas, pratiquait le collage et le cadavre exquis. Artaud écrivait et dessinait. Ce ne sont que quelques exemples.
Ainsi arrive-t-il à Heidsieck de composer à coups de ciseaux un alphabet complet, une planche par lettre. Sa géométrie légèrement de guingois s'apprécie de loin, mais ce qu'il faut aussi déchiffrer, car à chaque lettre correspond chaque fois un mot - un mot lancé par provocation ou dérision, un mot à dire à haute voix autant qu'à tracer sur le papier. Julien Blaine serait plutôt un adepte de l'installation, tantôt satirique, tantôt juste légèrement étrange, telle cette ligne d'horizon marine, qui semble monter et descendre sur un mur.
Quant à Lebel, tout peut lui servir. Dans les journaux, il trouve depuis longtemps matière à des montages qui sont autant de commentaires de l'actualité. L'un d'eux, consacré en 1961 à l'affaire Profumo, atteste de l'ancienneté et de l'acuité de cette pratique chez lui. Deux thèmes qui lui sont chers s'y rejoignent, les turpitudes de la politique et les plaisirs de la chair. Ces derniers sont pour lui une source intarissable : étonnants dessins biomorphiques fortement sexués, associations instantanées et drôles d'images de presse et de publicité, assemblage mural de plaques émaillées, vidéo qui montre les métamorphoses incessantes de Vénus à travers les âges et les cultures.
Développement logique : un cabinet de curiosités érotiques se cache derrière un rideau. Les trois artistes s'y retrouvent dans le même culte, auxquels ils sacrifient avec ferveur égale. Encore une bonne raison de les réunir.
"Ni vieux, ni traîtres : poètes !", galerie Meyer Le Bihan, 108, rue Vieille-du-Temple, Paris-3e. Tél. : 01-42-71-81-16. Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu'au 12 avril.
Comentarios