La poésie sur les murs

Le titre laisse pantois : "Ni vieux, ni traîtres : poètes !" Ils sont trois à se présenter ensemble à ce cri de guerre. Bernard Heidsieck, né en 1928, qui pratique la poésie sonore depuis les années 1950 et dont on ne compte plus les lectures publiques et livres ; Jean-Jacques Lebel, né en 1936, qui a eu Breton et Duchamp pour initiateurs et a provoqué maints scandales en sa qualité d'inventeur et propagateur du happening dès le tout début des années 1960 ; et Julien Blaine, né en 1944, défenseur acharné de la poésie vivante par tous les moyens.

La liberté de la parole, l'amour du verbe, l'inspiration imprévisible du chant et du geste : les raisons de les réunir sont donc évidentes. Mais de les réunir sur une scène, le temps d'une soirée à la gloire de la langue, et non dans une galerie. Pourquoi alors cette exposition ? Parce qu'un autre de leurs points communs est de ne pas employer le papier seulement pour écrire, mais aussi pour dessiner, découper, coller, détourner, superposer.

C'est la meilleure manière de démontrer qu'ils ne se laissent pas prendre dans une catégorie, qui devient spécialité et profession, et que la création peut prendre, chez un seul homme, bien des formes simultanément ou successivement. Picabia, quand il ne peignait pas, écrivait. Breton, quand il n'écrivait pas, pratiquait le collage et le cadavre exquis. Artaud écrivait et dessinait. Ce ne sont que quelques exemples.

Ainsi arrive-t-il à Heidsieck de composer à coups de ciseaux un alphabet complet, une planche par lettre. Sa géométrie légèrement de guingois s'apprécie de loin, mais ce qu'il faut aussi déchiffrer, car à chaque lettre correspond chaque fois un mot - un mot lancé par provocation ou dérision, un mot à dire à haute voix autant qu'à tracer sur le papier. Julien Blaine serait plutôt un adepte de l'installation, tantôt satirique, tantôt juste légèrement étrange, telle cette ligne d'horizon marine, qui semble monter et descendre sur un mur.

Quant à Lebel, tout peut lui servir. Dans les journaux, il trouve depuis longtemps matière à des montages qui sont autant de commentaires de l'actualité. L'un d'eux, consacré en 1961 à l'affaire Profumo, atteste de l'ancienneté et de l'acuité de cette pratique chez lui. Deux thèmes qui lui sont chers s'y rejoignent, les turpitudes de la politique et les plaisirs de la chair. Ces derniers sont pour lui une source intarissable : étonnants dessins biomorphiques fortement sexués, associations instantanées et drôles d'images de presse et de publicité, assemblage mural de plaques émaillées, vidéo qui montre les métamorphoses incessantes de Vénus à travers les âges et les cultures.

Développement logique : un cabinet de curiosités érotiques se cache derrière un rideau. Les trois artistes s'y retrouvent dans le même culte, auxquels ils sacrifient avec ferveur égale. Encore une bonne raison de les réunir.

"Ni vieux, ni traîtres : poètes !", galerie Meyer Le Bihan, 108, rue Vieille-du-Temple, Paris-3e. Tél. : 01-42-71-81-16. Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu'au 12 avril.

Philippe Dagen

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