Ils écrivent et dessinent
On imagine l'objection : qui n'a pas dessiné un jour, par désoeuvrement ou curiosité, au téléphone ou dans une chambre d'hôtel ? Mais ces écrivains ont dessiné fréquemment et conservé leurs essais, preuve qu'ils les tenaient pour un peu plus que des distractions. Aucun n'est du reste présenté ici de façon exhaustive : pour le seul Hugo, il aurait fallu un très grand bâtiment supplémentaire, même chose pour Michaux ou Artaud.
La plupart ont ainsi pris très au sérieux leur dessin. Un moment, Queneau a songé à abandonner le roman pour la peinture, dont il voulait apprendre les techniques. D'autres ont fait oeuvre à parts égales d'un côté et de l'autre. Kubin était écrivain et dessinateur, tout comme Klossowski, Bettencourt ou Topor. Il en est de même aujourd'hui de Fred Deux. Alain Fleischer, sur lequel s'achève le parcours, est autant et aussi bien écrivain que cinéaste et photographe. Il n'y a pas lieu de séparer, encore moins d'opposer, les modes d'expression et de recherche, car ce serait à l'opposé du processus de création. Celui-ci s'accomplit à travers la langue ou des figures, par le lisible et par le visible.
L'exposition suggère une seconde thèse, qui confirme la première. Ces écrivains dessinent comme ils écrivent, et la corrélation entre les deux activités est flagrante. L'unité de ton et de personnalité transparaît. Deux exemples, Anatole France et Jean Genet. Les scènes antiques et mythologiques que France exécute à la plume sont d'un néo-classicisme aussi convenu que son écriture. Les profils que Genet trace d'une ligne sinueuse sont un mélange contradictoire d'élégance et de dérision, comme ses livres.
Les connivences tiennent aussi aux sujets et aux obsessions. Baudelaire se dessine fasciné par un sac d'or qui s'envole - allégorie de la prostitution de l'art dans la société moderne. Les croquis d'Apollinaire sont tantôt ceux du poète de Calligrammes dans sa tranchée du bois aux Buttes, tantôt ceux de l'auteur des Onze mille verges. L'érotisme est du reste, sans surprise, un des motifs principaux, avec mentions spéciales à Louÿs, Jouve et Klossowski.
Chacun d'eux transcrit ses fantasmes avec une intensité qui exige parfois l'évidence la plus crue. Le dessin devient l'instrument d'une autoanalyse qui ne s'embarrasse plus des bonnes manières artistiques et ne cache rien. On n'oserait en déduire que le dessin serait alors l'inconscient de la littérature et, si l'on ose dire, son dernier mot.
"L'un pour l'autre : les écrivains dessinent", IMEC, Abbaye d'Ardenne, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe. Jusqu'au 27 avril. Catalogue, 176 p., 39,50 €.
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