Regard sur l'art à travers le filtre de Georges Perec

NANTES, ENVOYE SPECIAL

L'exposition qui se tient au Musée des beaux-arts de Nantes s'appelle "L'Art contemporain de Georges Perec". Ni l'art de Perec (1936-1982) ni Perec et l'art, mais l'art qui s'est fait du temps où Perec écrivait et celui qui se réclame parfois de lui, vingt-six ans après la mort de l'auteur des Choses (1965) et de La Vie mode d'emploi (1978).

Excellent sujet, pour plusieurs raisons. La première est la qualité de l'œuvre de Perec, l'une des plus intéressantes de ce qui s'est alors publié en France. W ou le Souvenir d'enfance est l'un des grands livres sur l'histoire récente de ce pays. Ces ouvrages ont arrêté le regard de ses contemporains et, parmi eux, des artistes, naturellement.

Ce serait là la deuxième des bonnes raisons, mais le commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Salgas, l'a moins prise en considération qu'une influence plus large, involontairement subie - et celle-ci moins encore que ce que l'on aurait appelé jadis "l'esprit d'une époque".

Cette époque, ce sont les années 1960 et 1970, la France productrice et consommatrice de biens, soucieuse de confort et de progrès, assez peu secouée par Mai 68 - et oublieuse de son passé récent. Cette époque, c'est celle qui se voit dans les oeuvres du nouveau réalisme et de la figuration narrative - Raysse, Hains, Villeglé, Erro et Monory sont là. Quand Perec écrit Les Choses, eux jouent avec les objets et le ready-made. Duchamp se trouve donc au centre du patio du musée, alors même que Perec ne lui a prêté que peu d'attention. Peu importe, puisqu'il s'agit de révéler des correspondances profondes et non des connivences conscientes.

Dans les ateliers, le goût des systèmes domine alors souvent. Il est des oeuvres de Perec où cela se voit : c'est son versant Oulipo, Queneau et mathématiques de l'écriture. L'exposition compte donc une section nommée "La règle du jeu", avec Morellet, Rutault, LeWitt. Tous ont travaillé par modules, répétitions, suites algébriques ou géométriques, de sorte que le rapport avec Perec est légitime.

LETTRES RETROUVÉES

Un autre met en présence l'auteur de W et de Je me souviens avec ceux qui, dès la fin des années 1960, s'emparent de photos de famille et des lettres retrouvées, d'archives et de reliques. Ce sont Messager, Boltanski, Roth et Sarkis, tous réunis ici sous le signe de l'autobiographie indirecte, déguisée, ironique. Juste rapprochement à nouveau.

Comment se fait-il alors que l'exposition, si bien pensée, ne convainque qu'à demi ? Sans doute parce qu'à ceux que l'on a nommés, d'autres ont été ajoutés pour illustrer des notions qui n'en ont pas besoin. Le motif de l'accumulation des images et objets se comprendrait aussi bien sans Moulène, Closky, Feldman et Ruff. La présence de Tuymans ou Richter répond plutôt au désir de faire une exposition d'art actuel chic qu'au propos premier.

La démonstration, étendue à trop de générations, se perd. Comme il est de surcroît malaisé de faire cohabiter dans le même espace un Gasiorowski et un Monory, ou un Sanejouand et un André, elle tourne à la promiscuité un rien confuse. Il n'est pas sûr que le marquage au sol des quatre catégories dont relèverait telle ou telle oeuvre suffise à éclairer le visiteur. Lui reste le plaisir de lire ou de relire Perec.


"L'art contemporain de Georges Perec". Musée des beaux-arts, 10, rue Georges-Clemenceau, Nantes (Loire-Atlantique). Tél. : 02-51-17-45-00.
Du mercredi au lundi de 10 heures à 18 heures, le jeudi jusqu'à 20 heures. Entrée : 3,50 €. Jusqu'au 12 octobre.

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